Au delà de notre environnement immédiat nous construisons notre sommeil par une série d’habitudes qui, pour certaines, sont très liées à notre milieu culturel et social, mais qui pour d’autres sont directement en rapport avec les modifications de notre mode de vie. Depuis les années 2000 nous assistons à une véritable révolution de ce dernier avec l’arrivée des nouvelles technologies. Du téléphone portable, en passant par les ordinateurs, les tablettes, l’individu est maintenant connecté. Connecté aux appareils dans une démarche très anglo-saxone du « self-quantified », connecté aux autres, à l’autre, via les messagerie instantanées et les réseaux sociaux. Tout ceci modifie considérablement notre rapport au temps et au sommeil.
En France , selon « enquêtes communautaires sur les TIC 2011 » d’Eurostat, 76% des ménages dispose d’un accès internet à domicile avec 36% des internautes qui participent aux réseaux sociaux (facebook, twitter,…). Le degré de connexion est particulièrement élevé chez les adolescents qui plébiscitent le téléphone et les SMS, mais qui se connectent de plus en plus à internet via un smartphone (58,8 % des plus de 15 ans selon Médiamétrie 2012). En 2011 la TNS-SOFRES a trouvé que 48% des enfants de 8-17 ans sont connectés à un réseau social (Facebook essentiellement). Ces chiffres changent très vite avec les modifications des forfaits et les offres de plus en plus avantageuses proposées par les opérateurs. L’utilisation du portable pour appeler ou pour envoyer des SMS après l’extinction de la lumière est associée à des troubles du sommeil qui ont un retentissement important sur le sommeil et la qualité de l’éveil le lendemain (durée de sommeil raccourcie, insomnie, mauvais qualité de sommeil ressentie, somnolence diurne excessive dans la journée) or les études montrent que ce comportement s’accentue avec l’âge et touche un peu plus les filles que les garçons.
Une autre tendance est une plus grande utilisation de l’ordinateur le soir pour faire des recherches ou des achats en ligne, échanger par skype avec la famille et les amis, regarder un DVD, ou une émission de télévision en replay. L’augmentation du parc d’ordinateur portable fait que de plus en plus souvent l’ordinateur arrive dans le lit. Avec les tablettes, l’ordinateur se réduit à sa plus simple expression pour devenir plus ludique, support de lecture, de vidéos, ou console de jeu. L’attention est captivée par la tâche, d’autant que de multiples alertes de connexion ou d’arrivée de messages, parfois professionnels, viennent renforcer encore, s’il en était besoin, la vigilance de l’utilisateur. Plusieurs études ont montré que les écrans ont des effets perturbateurs sur le sommeil. Les écrans d’ordinateurs ou des tablettes, surtout des dernières générations d’appareils, utilisent souvent des diodes dont le spectre lumineux a une longueur d’onde autour de 460 nm, c’est à dire celle d’une lumière bleue dont on sait qu’elle est beaucoup plus active sur le blocage de la sécrétion de la mélatonine que la lumière blanche. Les effets de la lumière le soir sont connus de longue date. Une lumière forte le soir a pour effet de décaler les rythmes de sommeil en repoussant à plus tard un endormissement possible. Cet effet est d’autant plus marqué que le temps d’exposition à l’écran est de longue durée.
Nous sommes en train d’assister à des modifications profondes de nos habitudes dans la soirée avec des conséquences de plus en plus nettes sur notre durée de sommeil. Les horaires de sommeil se décalent. Et particulièrement chez les adolescents et les jeunes. Pourtant les cours, ou l’activité professionnelle sont toujours à la même heure le matin, il en résulte une réduction du temps de sommeil nocturne qui affecte surtout les jeunes. La deuxième conséquence de cette réduction du temps de sommeil est une instabilité de la régulation des rythmes à la fois par une adaptation du fonctionnement des gènes qui régissent nos rythmes biologiques et qui sont très sensibles à la privation de sommeil comme vient de le montrer un travail de Derk-Jan Dijk de l’Université de Surrey, mais aussi en raison du comportement du jeune qui aggrave cette situation. En effet lorsqu’on compare les horaires de sommeil en semaine et le week-end, on constate de plus en plus souvent chez les jeunes, un décalage important avec des horaires très tardifs le week-end, parfois de plus de 5h pour l’horaire du lever. Ce décalage est équivalent à un celui d’un voyage Paris-New York ; c’est à dire que l’adolescent qui retarde son lever se retrouve dans une situation de jet-lag dont on connaît les effets sur le sommeil et la fatique. Le fait de dormir tard le week-end pourrait sembler positif pour la récupération de la fatigue de la privation de sommeil de la semaine, en réalité cette situation est très délétère et contre-productive car elle entretient l’impossibilité pour l’individu de stabiliser ses rythmes. La reprise du lundi est extrêmement difficile et jusqu’au mercredi la personne décalée a les mêmes difficultés que quelqu’un qui aurait voyagé jusqu’au USA. Alors que ses rythmes commenceront à se restabiliser le jeudi, tout l’équilibre est remis en question le week-end suivant, et ainsi de suite, week-end après week-end. Une fois que ce rythme décalé est bien ancré, revenir à un rythme normal est extrêmement difficile car la volonté est parfois insuffisante, et il faut non seulement une forte motivation mais aussi un renforcement matinal des synchroniseurs pour pouvoir stabiliser à nouveau les rythmes *
* Les synchroniseurs les plus efficaces sont l’exposition à la lumière naturelle le matin, et une activité sportive soutenue durant au moins 20 à 30 minutes