Lumière et fonctions non-visuelles

Régulation de la lumièreLa rétine dont la fonction la plus évidente est dévolue à la vision possède des fonctionnalités majeures pour la régulation des rythmes biologiques. Depuis la découverte des cellules ganglionnaires à mélanopsine dans la rétine en 2002, un ensemble de fonctions sensibles à la lumière ont été décrites. On les appelle « fonctions non-visuelles » car elles sont activées par la lumière au niveau de l’œil, elles impliquent des voies anatomiques et des structures cérébrales différentes de celles nécessaires à  la vision, et ne sont pas impliquées dans la vision consciente de notre environnement.  Les études chez l’animal montrent des projections des cellules ganglionnaires à mélanopsine vers des structures régulant les rythmes biologiques, les états de veille et de sommeil,  l’activité locomotrice, le réflexe pupillaire, etc… Chez l’Homme, les études montrent que les cellules ganglionnaires à mélanopsine, via les voies non-visuelles, sont impliquées dans l’effet de la lumière sur : le décalage de phase de la mélatonine, et du rythme du gène PER3, sur l’expression du gene PER2, mais aussi sur la régulation de l’éveil: augmentation de la vigilance, de la température, de la fréquence cardiaque, et des performances psychomotrices. Elles ont aussi un rôle dans l’organisation du sommeil, et l’activation de structures cérébrales impliquées dans la mémoire et la régulation de l’humeur (pour revue, voir Taillard et Gronfier 2012).

 Compte tenu de l’importance de la synchronisation du système circadien et de la nature des fonctions non visuelles, la lumière apparait comme un besoin biologique indispensable au bon fonctionnement de l’organisme. En outre, il apparait vraisemblable que la lumière sera utilisée dans le futur dans le traitement de nombreuses conditions normales ou pathologiques, dans lesquelles un dysfonctionnement physiologique pourra être corrigé via l’activation de fonctions non-visuelles de l’œil.  Des études sont en cours pour évaluer l’intérêt clinique de la lumière dans la maladie d’Alzheimer et dans la maladie de Parkinson. D’autres études déterminent une modification du spectre lumineux pourrait être efficace dans le traitement des troubles du travailleur de nuit.

 La pathologie pour laquelle la photothérapie est particulièrement efficace est la dépression saisonnière, ainsi appelée car elle apparaît généralement à l’approche de l’hiver et disparaît au printemps – en anglais, on l’appelle winter blues (« blues de l’hiver »). Sa récurrence régulière (elle apparaît tous les ans) est l’un des critères définissant la pathologie. Ses causes précises ne sont pas connues et peuvent être différentes d’un individu à l’autre. Puisque la pathologie apparaît avec la diminution de la longueur du jour, un dysfonctionnement de l’horloge biologique est l’une des hypothèses actuelles.

La photothérapie est recommandée au niveau internationnal depuis 2005 comme traitement de choix des dépressions saisonnières. Elle montre généralement des effets dans les deux premières semaines de son application et est efficace dans environ 85 % des cas, c’est-à-dire autant qu’avec les meilleurs antidépresseurs. Le traitement doit être adapté au chronotype du patient : une personne de type matinal doit être exposée plus tôt que si elle est du soir. Outre son efficacité, l’avantage majeur de la photothérapie sur les médicaments est qu’il n’existe pas ou peu d’effets secondaires ni de phénomène d’accoutumance au traitement, et que son coût est très modéré (moins cher qu’un traitement antidépresseur classique et virtuellement gratuit si l’on utilise la lumière du jour). Malgré son efficacité incontestable, ce mode de traitement n’est pas encore suffisamment répandu en France pour les raisons évoquées précédemment de méconnaissance de ses principes physiologiques par les cliniciens. Il est en revanche très utilisé aux États-Unis (il est d’origine américaine), au Canada, dans les pays du nord de l’Europe (Suède, Norvège), et en Suisse et en Allemagne où l’appareil de photothérapie est remboursé par les systèmes de santé.

La photothérapie a fait la preuve de son efficacité dans d’autres cas que celui de la dépression saisonnière : elle est utilisée depuis des années dans le traitement des troubles du rythme veille-sommeil tels que les syndromes d’avance et de retard de phase ; elle a été testée avec succès dans le traitement des dépressions prémenstruelles et des dépressions de la grossesse, de la boulimie (bulimia nervosa), de la démence de la maladie d’Alzheimer, dans la dépression du sujet âgé, et dans certaines dépressions chroniques résistantes aux médicaments traditionnels. Il est tout à fait envisageable que cette approche clinique soit proposée pour d’autres indications à l’avenir.

De Claude Gronfier in « Les mécanismes du sommeil »